![]() |
Entre la ville d'Ambilobe et le parc national de la montagne d'Ambre, à l'extrême nord du pays, la réserve spéciale de l'Ankarana couvre un territoire d'un peu plus de 18 000 hectares du massif éponyme, bordé à l'ouest par une vaste savane sèche. Peu accessible, à peine étudié par les scientifiques au cours de ces vingt dernières années et peu fréquenté par les touristes, l'Ankarana est loin d'avoir révélé toutes ses richesses et tous ses mystères ! C'est pourtant l'un des endroits les plus étranges et les plus fascinants de l'île, tendant vers le ciel une foison d'épées karstiques affûtées, depuis la nuit des temps, par le ruissellement des pluies. Ces tsingys sont l'un des principaux attraits de la réserve. Au cœur de leur relief profondément tourmenté s'épanouissent des poches de jungle primaire encombrées de lianes, qui accueillent de nombreux primates, tandis que vers la surface du plateau croît une forêt, composée notamment de pachypodes et d'euphorbes, sans oublier des bois précieux tels que le Dalbergia et le Diospyros qui, depuis toujours, attisent la convoitise des bûcherons. Comme souvent à Madagascar, une grande part de la flore est localement endémique. Outre les tsingys, l'Ankarana est réputé pour ses grottes, dont certaines offrent un spectacle particulièrement grandiose. Les précipitations et les cours d'eau souterrains, retenus prisonniers par les coulées de basalte postérieures à la formation du plateau qui en ont scellé le périmètre, ont en effet rongé le calcaire sensible à l'érosion. C'est ainsi que se sont créées de ténébreuses cathédrales ornées de concrétions aux formes fantasmagoriques. La plus grande de toutes est celle d'Andafiabe, sur le versant ouest du massif. Elle mesure plusieurs kilomètres de long et comprend un impressionnant réseau de galeries. Avant d'atteindre son entrée béante, il faut se frayer un chemin au fond d'un canyon aux parois vertigineuses et tapissé de végétation humide où se glisse l'élégante mangouste à queue annelée, tandis qu'un faisceau de lumière éclaire un gecko diurne géant, vert taché de rouge vif, hissé sur une souche. À quelques branches de là, un martin-chasseur malgache en livrée vermillon prend soudain son envol. La grotte aux crocodiles est à peine moins impressionnante lorsque l'on sait qu'aux environs rôdent parfois ces sauriens, surtout en saison sèche quand ils cherchent la fraîcheur à l'intérieur du massif. Équipé d'une torche et accompagné d'un guide, il est possible de visiter certaines des cavernes peuplées de chauves-souris. Mais le joyau de l'Ankarana est assurément le lac Vert. Il faut environ quatre heures de marche pour l'atteindre. En chemin, la végétation pourra révéler la présence d'un lépilémur septentrional (1) somnolant pelotonné à l'intérieur d'un tronc, tandis qu'un caméléon en écailles bariolées nous fait l'éloge de la lenteur en empoignant la branchette voisine de la plante sur laquelle il est longuement resté immobile. À la cime des arbres coiffant les rochers, un petit groupe de perroquets noirs décortiquent bruyamment des baies. Après avoir traversé des reliefs fortement érodés ne facilitant pas la progression, au détour du sentier, enfin ; c'est une émeraude étincelante qui se dévoile au fond de l'écrin à la fois minéral et végétal formé par les grands tsingys. Les eaux du lac, qui doivent leur couleur à la présence d'algues microscopiques, sont peuplées d'anguilles agressives qui n'hésitent pas à attaquer au moindre frémissement de l'eau. Spectaculaire, le site est propice à la rencontre du maki couronné (2), dont l'aire de nourrissage se tient à l'étage inférieur des forêts, sans doute afin de limiter la concurrence alimentaire avec le maki de Standford (3), également présent et avec lequel on le confond parfois. Au crépuscule, il faut guetter, parmi les feuilles et les brindilles éparpillées au sol, le grand tenrec-hérisson, un petit mammifère piquant au long museau. L'environnement privilégié de la réserve spéciale de l'Ankarana offre parmi ce qu'il reste de plus sauvage à Madagascar et, à ce titre, mérite sans aucun doute les efforts nécessaires à sa découverte !
Notes J. Nicolin |
|
|
|
|
|